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Interview d’Anne Canteaut : dans la peau de la Femme Scientifique de l’Année 2023

Date de publication :

Plongez dans une interview passionnante avec Anne Canteaut, Chercheuse en cryptographie et « Femme Scientifique de l’Année 2023 ».

Elle partage ses réflexions sur l’informatique, sa passion pour les codes secrets et son combat de chaque jour contre les hackers du Web.

Anne casse aussi l’idée reçu du chercheur solitaire et nous démontre que les grands résultats naissent d’un collectif.

Let’s go.

Si nos lectrices devaient connaître 3 choses sur vous ?

Je suis chercheuse en informatique.
Je suis passionnée par les codes secrets.
J’ai grandi à Dunkerque, donc non, je ne suis pas pirate, mais plutôt corsaire.

Si vous deviez «pitcher» votre métier en 2 phrases ?

Mon objectif, c’est de mieux sécuriser nos données et nos communications pour éviter les piratages. Pour cela, je cherche à « casser » les algorithmes cryptographiques, les codes secrets que nous utilisons au quotidien, car ces crash tests malveillants sont la seule manière de s’assurer de leur sécurité.

Si vous deviez expliquer votre principal sujet de recherche à une non-initiée ?

Mon domaine de recherche est la cryptographie, en particulier les systèmes de chiffrement, qui sont les versions modernes des « codes secrets ».

Mon travail consiste à chercher de nouvelles attaques sur les chiffrements existants pour évaluer leur niveau de sécurité, à comprendre les propriétés mathématiques qui font qu’une attaque est possible ou non, et à construire de nouveaux chiffrements, plus solides et mieux adaptés à certaines applications.

La journée type d’une chercheuse en cryptographie, ça ressemble à quoi ?

À rien ! Il n’y a pas de journée type en recherche, c’est une des raisons pour lesquelles on ne s’ennuie jamais.

Mais je peux, selon les moments, réfléchir à 2 ou 3 autour d’un tableau, réfléchir seule dans mon bureau, programmer, écrire des articles, lire les articles des collègues, participer à des colloques, écouter des exposés, donner des exposés, évaluer et vérifier les travaux des collègues… et aussi m’acquitter de tâches plus pénibles : écrire des documents pour obtenir des financements, tenter désespérément d’être remboursée d’un déplacement après six mois, me démener pour qu’un stagiaire ou un doctorant soit payé dans les temps, ce qui peut être bien difficile malgré l’énergie dépensée par les collègues administratifs…

Une figure ou un moment qui a déclenché votre vocation scientifique ? 

Quand je suis entrée en école d’ingénieurs, je ne voulais absolument pas faire d’informatique car je pensais que cela n’était que du « bidouillage ». Et j’ai alors découvert à ma grande surprise, avec mes premiers cours de programmation, que l’informatique était une science au même titre que les maths ou la physique, et j’ai adoré.

Quels sont les femmes qui vous inspirent ?

Ma fille et mes anciennes doctorantes.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre métier ?

La volonté de comprendre.

Quels ont été les principaux obstacles sur votre chemin ?

La tendance actuelle à la précipitation et au « quick and dirty » qui sont pratiquement érigés en religion.

Tout cela est incompatible avec la rigueur indispensable dans la recherche scientifique qui s’accommode mal d’approximations, d’analyses superficielles et bancales.

Comment les avez-vous surmontés ?

Grâce aux collègues avec lesquels je travaille, car ils partagent cette exigence de rigueur et cette volonté d’aller au fond des choses, au lieu d’accumuler les publications ou les applications sans intérêt dans le seul but d’optimiser des indicateurs de performance.

On ne peut pas résister à cette pression de manière individuelle, seule la force du collectif le permet.

Comment une chercheuse peut-elle réussir dans un domaine traditionnellement dominé par les hommes ?

En refusant de se laisser intimider.

Qu’est-ce qui vous procure du plaisir dans ce métier ?

Au quotidien, les discussions à bâtons rompus avec les collègues. C’est dans ces moments que j’ai la sensation de progresser, parce qu’un collègue donne un argument, avance une idée à laquelle je n’avais pas pensé.

Et, bien entendu, quand cela arrive, l’immense satisfaction d’avoir résolu un problème qui me préoccupe depuis des semaines, voire des mois, au point de me réveiller la nuit et de m’empêcher de penser à autre chose.

Ce plaisir me fait oublier les doutes, les longs moments où j’ai eu l’impression que je ne trouverais jamais la solution.

Exactement comme les détectives des romans policiers qui, pendant plusieurs centaines de pages, accumulent avec leur équipe les éléments sans réussir à leur trouver un sens, ne cessent de se fourvoyer puis finissent enfin par emboîter les pièces du puzzle.

J’ai beaucoup d’empathie pour Adamsberg et ses confrères.

Si vous deviez casser 3 idées reçues sur votre métier ?

L’informatique n’est pas faite pour les femmes. C’est toujours amusant de constater que dans les années 1960, l’informatique était au contraire une activité conseillée aux femmes car elles pouvaient programmer depuis chez elles, tout en gardant leurs enfants. De même, les années 1970 en France ont vu un nombre important de femmes se diriger vers la recherche en informatique, parce que c’était un domaine moins prestigieux que les maths. L’excellent ouvrage d’Isabelle Collet, « Les oubliées du numérique », déconstruit avec brio ce stéréotype.

On ne peut pas devenir chercheur si on ne sort pas d’un grand lycée parisien, ou si on n’a pas fait une classe prépa. Les chercheurs de mon équipe ont des parcours variés, prépa et école d’ingénieurs, université…, et viennent de partout.

Les grands résultats de recherche sont l’œuvre de quelques génies solitaires. La plupart des résultats majeurs naissent de la combinaison de quantité de contributions, obtenues par un nombre important de personnes. Pour casser ce stéréotype, j’aime beaucoup l’idée de l’immunologiste Jean-Claude Weill qui propose d’attribuer le prix Nobel non pas à un individu mais à une découverte, en donnant la (longue) liste des personnes qui ont contribué au résultat. On percevrait alors la dimension collective de notre travail, et la diversité des profils des personnes contribuant à un même sujet.

Qu’est-ce que vous vous diriez à une petite fille de 5 ans, une jeune fille de 15 ans et à une femme de 25 ans pour les encourager à explorer le chemin de la physique et des mathématiques ?

À toutes, avec des mots différents, je dirais combien ces sciences peuvent être amusantes, passionnantes et affecter la vie des gens. C’est-à-dire à l’opposé de l’image que j’ai moi-même pu avoir, d’un domaine rébarbatif, difficile, aride et abstrait.

Pour finir, auriez-vous 3 recommandations (livres, films, etc…) pour éveiller les filles à la science ?

Pour tous et pas seulement à destination des filles…

Pour les plus jeunes : tous les épisodes de l’extraordinaire « C’est pas sorcier ».

À partir du lycée, les livres :

  • « Histoire des codes secrets » de Simon Singh
  • « L’art de résoudre les problèmes de mathématiques » de Terence Tao

Merci Anne Canteaut !

Pour en savoir plus sur le sujet, n’hésitez pas à lire nos portraits des 20 femmes scientifiques célèbres qui ont marqué le monde.

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