À contre-courant des codes souvent standardisés du funéraire, Aurore Jeunot imagine une autre voie : poétique, artisanale, intemporelle. Issue du monde des arts visuels, cette créatrice a fondé la Maison Dantès pour insuffler sens, beauté et humanité dans l’univers du deuil. Au croisement de l’art, de la mémoire et du geste rare, elle redonne au silence une voix et aux objets funéraires une âme. Dans cet entretien, elle revient sur la genèse de son projet, son exigence artistique et éthique, ainsi que sur le chemin personnel et engagé qui l’a menée à bâtir cette maison singulière.
Parcours & genèse
Qu’est-ce qui vous a poussée, vous, artiste issue des arts visuels, à investir l’univers funéraire ?
C’est un espace de silence que j’ai eu envie d’habiter avec du sens. L’univers funéraire a une esthétique figée, souvent impersonnelle. En tant qu’artiste, j’ai vu là une zone à réenchanter. Sublimer la disparition, c’est aussi réhabiliter ce temps suspendu qu’est le deuil. Le transformer en un geste poétique, sensible, durable.
En quoi votre parcours dans le monde de l’art ou du muséal vous a préparée à créer Maison Dantès ?
J’ai toujours travaillé avec la matière, l’espace, la symbolique. Mes années dans l’univers de l’art m’ont appris à raconter autrement : à faire parler les objets, à écouter les silences. Maison Dantès est née de cette volonté de créer des œuvres qui soient à la fois objet d’art et compagnons d’âme.

ADN de la Maison Dantès
Vous parlez d’un « hommage durable » – comment cela se traduit-il dans vos créations ?
Par des pièces conçues pour durer, au sens noble du terme : belles, intemporelles, rayonnantes, pensées hors du temps. Nos créations sont des traces tangibles d’une présence. Elles traversent les générations. Et leur durabilité vient autant des matériaux que de la sincérité du geste.
Le nom « Dantès », tiré de l’ancien prénom latin Durante, signifie “celui qui dure”. Comment cette idée façonne votre approche artistique et artisanale ?
Elle est partout : dans le choix des matériaux nobles et naturels, dans la lenteur du fait main, dans la rareté assumée. On ne suit pas les tendances. On suit un rythme intérieur. Celui du respect, de la transmission et de la mémoire.
Valeurs & savoir-faire de la Maison Dantès
Vous vous définissez comme une maison de création funéraire “discrète et exigeante” : comment avez-vous pensé cette dualité ?
La discrétion est une forme de pudeur. L’exigence, une forme de respect. Nos objets ne cherchent pas à éblouir mais à toucher, à s’intégrer dans l’intime. Et cela demande un sens aigu du détail, une recherche permanente de justesse.
Quels savoir-faire français (plumassier, doreur, ébéniste…) avez-vous mobilisés et pourquoi ?
Nous collaborons avec des artisans d’art d’exception : plumassiers, doreurs-fileurs, céramistes, brodeurs… Leurs gestes racontent une histoire, celle d’un artisanat rare, presque sacré. Ce sont des métiers en voie de disparition pour certains.Créer des ponts inédits entre ces pratiques formidables, c’est aussi les faire durer.
Comment conjuguez-vous exigence artistique et éthique environnementale ?
En travaillant uniquement des matériaux durables, nobles. En privilégiant les circuits courts, les ateliers français. En choisissant la lenteur plutôt que la production de masse. C’est un luxe assumé, mais porteur de sens.
Produits & créations de la Maison Dantès
Comment naît une création chez Dantès : du besoin du client, d’une émotion, d’une matière découverte ?
Souvent d’une rencontre. Une matière rare, une commande particulière, un mot… Et parfois, d’une intuition. Nos pièces racontent une émotion, et en tant que créatrice, c’est ce qui me caractérise le plus. Je suis une boule d’émotion pure.
Parmi vos urnes, bijoux ou ornements, y a-t-il une pièce phare, emblématique, qui résume parfaitement l’univers de la maison ?
L’urne Azurée. Elle marie porcelaine, or et composition de plumes. C’est une pièce d’art délicate, à la fois aérienne et précieuse. Elle incarne la volonté de célébrer avec grâce, sans jamais tomber dans le décoratif gratuit.

Relation client & sur-mesure
Vous proposez des pièces sur mesure et des séries limitées : comment gérez-vous l’équilibre entre créativité, artisanat et production ?
En acceptant que chaque création prenne le temps qu’il faut. L’exception, c’est aussi cela : la liberté du rythme. La production suit la création, jamais l’inverse. Et cela crée un lien précieux avec chaque commande. Je cherche à proposer quelque chose de nouveau. Cela demande du temps pour trouver son modèle et un équilibre entre tout cela.
Comment se construit la relation avec les familles en deuil ? Quelles sont les étapes-clés d’un hommage personnalisé ?
On commence par écouter. Je discute pendant plusieurs heures parfois. C’est difficile d’écouter la détresse, mais je m’attache au fait que je suis là pour apporter un peu de lumière dans l’obscurité que les familles vivent à ce moment-là. Puis on propose une matière, une forme, une symbolique. Chaque étape est co-construite avec la famille. C’est un dialogue respectueux, délicat, et profondément humain.
Les défis & les réussites d’Aurore Jeunot
Quel a été le plus difficile défi à relever, au démarrage ou en phase de croissance ?
Faire accepter que l’urne puisse être une montrer avec fierté, assumer la grâce artistique qu’elle peut porter. Le fait de proposer du très haut de gamme dans un domaine qui n’est pas connus pour cela. Déconstruire les réflexes industriels pour ouvrir une autre voie : celle du sensible. Convaincre, dans un marché particulier, que les métiers de la haute-couture peuvent avoir leur place dans le funéraire.
Y a-t‑il eu un moment de doute ou un projet à revisiter — et qu’en avez-vous appris ?
Oui, évidemment. Créer une entreprise comme celle-ci, c’est un pari. Un pari sur la lenteur en opposition à la société de l’efficience, un pari sur l’audace créatif et de positionnement. Chaque projet nous met face à une limite. Mais c’est aussi là que se trouve l’apprentissage : dans les erreurs, les ajustements.
7. Communication & visibilité
Comment parlez-vous de votre activité, à la croisée de l’art, de l’artisanat et du funéraire, dans vos supports, réseaux ou auprès de la presse ?
Avec pudeur, mais sans détour. On parle d’art de la mémoire. D’hommage, pas de produit. Chaque mot est pesé, car le sujet est sensible. On invite, on n’impose jamais. Et on laisse nos créations parler pour nous.
Perspectives & conseils d’Aurore Jeunot
Sur le long terme, que souhaitez-vous voir évoluer chez Maison Dantès ? De nouvelles collaborations, collections, formats ?
J’aimerais explorer encore davantage l’interdisciplinarité : croiser le textile, la verrerie, la broderie d’or, le bois, le feu… Et imaginer des objets d’art mémoriels qui ne soient pas forcément liés à la mort, mais à la transmission. J’ai commencé à travailler le sujet de l’ornement du défunt également. Et n’oublions pas que nos créations touchent autant la dimension humaine qu’animal. Perdre un être cher est universel.
Le massage d’Aurore Jeunot pour celles (et ceux) qui désirent lancer un projet créatif, sensible, dans un domaine atypique.
Allez-y!
Mon parcours a été et est toujours semé d’embuches : notamment j’ai fait un burn out, et je suis l’une des victimes de l’affaire Christian Nègre de soumission chimique sur plus de 200 femmes au ministère de la culture, qui sera jugé d’ici un à deux ans. Dans ce sens, je suis accompagnée par la Fondation des Femmes. Nous sommes unis dans ce combat.
Mais ce sont des choses dans lesquels j’ai choisi de trouver une force. J’ai créé l’an passé Valois Varden autour du bijou d’émotions, récompensé d’une bourse frenchtech innovation créative BPI, et logiquement Maison Dantès sort de terre aujourd’hui comme une extension du domaine du souvenir à défricher.
Même si ça fait peur, même si on vous dit que c’est trop de niche, trop risqué. Il y a une vraie place pour les projets sincères, bien faits, exigeants. Mais il faut accepter le doute, la lenteur et croire en ce que l’on fait profondément. Je n’ai jamais été plus en phase avec moi-même qu’aujourd’hui.
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