Elles créent des entreprises, des réseaux, des modèles. Elles innovent dans la tech, la santé, l’artisanat, l’éducation. Elles n’attendent plus qu’on leur ouvre la porte : elles la construisent.
Les femmes entrepreneures d’aujourd’hui sont bien plus que des créatrices d’activité. Elles prolongent — consciemment ou intuitivement — un combat qui dépasse leur seule trajectoire : celui de l’émancipation économique et sociale.
Mais cette continuité existe-t-elle vraiment ? Peut-on relier les pionnières d’aujourd’hui aux grandes figures du féminisme historique ? L’entrepreneuriat féminin est-il une nouvelle forme d’action politique, ou un espace à part ?
Poser ces questions, c’est refuser de séparer l’autonomie financière de l’autonomie personnelle. Et reconnaître qu’à travers chaque initiative économique, c’est une histoire plus vaste qui se poursuit.
Le féminisme historique : un combat d’abord économique
Les femmes exclues pendant des siècles de la sphère économique
Pendant longtemps, les femmes n’ont eu accès ni :
- à la propriété,
- au droit de signer un contrat,
- à la gestion de leur salaire,
- au travail sans autorisation masculine.
Les premières militantes du XIXᵉ siècle l’avaient compris : sans autonomie financière, l’égalité restait impossible.
Dès les débuts, le féminisme n’est donc pas seulement un combat politique : il est profondément économique.
Des femmes comme Flora Tristan, figure du féminisme social, ou Louise Michel ont posé les bases d’une réflexion : une femme qui dépend matériellement d’un homme ne peut être réellement libre.
Simone de Beauvoir l’exprimera plus tard avec clarté dans Le Deuxième Sexe :
« C’est en travaillant qu’une femme peut briser le cercle de la dépendance. »
Le droit d’avoir un compte bancaire, de gérer un budget, de créer une entreprise : autant de victoires féministes indispensables, obtenues parfois tardivement (1975 pour le crédit sans autorisation du conjoint).
Les conditions de possibilité de l’entrepreneuriat féminin
Sans ces conquêtes, aucune femme n’aurait pu devenir fondatrice, dirigeante, investisseuse.
L’entrepreneuriat féminin d’aujourd’hui est donc le résultat direct de décennies de luttes pour accéder à la liberté d’agir.
Entreprendre : un acte politique, même sans discours militant
Sortir du salariat, décider, gagner : des gestes encore transgressifs
Créer son entreprise est souvent perçu comme un choix personnel :
se réaliser, se libérer du salariat, suivre une passion.
Mais dans les faits :
- diriger,
- prendre la parole,
- assumer ses tarifs,
- incarner l’autorité,
- créer de l’emploi…
sont encore des gestes transgressifs pour une femme dans une société où les normes masculines restent dominantes.
Même sans brandir une pancarte, l’acte entrepreneurial est politique.
L’autonomie économique comme prolongement logique du féminisme
Une femme entrepreneure :
- ne demande pas la permission,
- ne se contente pas de la place qu’on lui laisse,
- construit son propre espace d’influence.
Elle met en œuvre ce que les féministes du passé réclamaient : le droit d’exister dans la sphère publique, d’y être actrice et non spectatrice.
L’impact économique comme héritage militant
En créant de la valeur, des emplois, des projets solidaires, les cheffes d’entreprise actuelles prolongent l’idée essentielle du féminisme :
l’autonomie est condition de liberté.
Des figures d’hier aux modèles d’aujourd’hui : une lignée réinventée
Les “entrepreneures” du passé, parfois invisibles
Certaines icônes féminines étaient, sans le dire, de véritables dirigeantes :
- Sarah Bernhardt, actrice mais aussi gestionnaire de sa propre entreprise artistique.
- Coco Chanel, cheffe d’un empire économique avant d’être une créatrice.
- Ruth Handler, entrepreneure visionnaire à l’origine de Barbie.
- Anita Roddick, fondatrice de The Body Shop, pionnière du commerce éthique.
Ces femmes ont longtemps été présentées comme des créatrices plutôt que des dirigeantes — pour ne pas avoir à reconnaître leur puissance économique.
Les entrepreneures contemporaines qui relient entreprise et engagement
Aujourd’hui, de nombreuses femmes articulent explicitement entrepreneuriat et transformation sociale :
- Céline Bouvier, qui démocratise la prise de parole au féminin.
- Julia Mouzon, qui accompagne les femmes élues dans leur leadership.
- Sarah Zouak, qui crée des espaces de représentation pour les femmes musulmanes.
D’autres ne se revendiquent pas militantes, mais transforment le paysage économique par leur manière de travailler, de coopérer, de décider.
L’émergence de modèles différents : solidaires, inclusifs, éthiques
L’entrepreneuriat féminin actuel se distingue souvent par des priorités inédites :
- impact social,
- écoresponsabilité,
- parentalité intégrée dans l’organisation du travail,
- refus de la compétition toxique,
- gouvernance horizontale.
Il ne s’agit pas seulement de réussir : il s’agit de réinventer les règles du jeu.
Les obstacles qui persistent : un combat encore actif
Des inégalités structurelles qui perdurent
Malgré les avancées, les entrepreneures :
- lèvent encore beaucoup moins de fonds que les hommes,
- sont moins visibles dans les médias économiques,
- assument davantage la charge mentale familiale,
- doivent justifier leur ambition, encore perçue comme “atypique”.
L’entrepreneuriat n’efface pas les biais sexistes : il permet seulement de les contourner.
Un mouvement collectif indispensable
L’essor de réseaux féminins change la donne :
- mentoring,
- financements dédiés,
- clubs professionnels,
- programmes d’accompagnement spécialisés.
Ces communautés créent un écosystème d’empowerment qui prolonge l’esprit des mouvements féministes : la solidarité comme levier d’émancipation.
3. Une filiation qui ne dit pas son nom
Faut-il se revendiquer féministe pour être une héritière de ces combats ?
Non.
Mais il est essentiel de reconnaître ceci :
Toute femme qui ose agir pour son autonomie s’inscrit — qu’elle le sache ou non — dans une histoire de conquête.
Les pionnières du business prolongent l’Histoire en avançant
Oui, les dirigeantes et entrepreneures d’aujourd’hui sont des héritières des combats féministes.
Pas seulement parce qu’elles en adoptent les valeurs, mais parce qu’elles donnent corps à ce que ces militantes ont toujours cherché : le droit d’agir, de créer, de gagner, de diriger.
Elles n’imitent pas le passé :
elles l’actualisent.
Elles n’attendent pas qu’on leur fasse une place :
elles en créent de nouvelles.
Elles ne revendiquent pas toutes un féminisme théorique :
elles pratiquent un féminisme d’action.
Et c’est peut-être là la plus belle forme d’héritage.
